Sentiment d'incomplétude, peur de l'abandon, sensibilité aux séparations, deuil inconsolable, culpabilité... sont des symptômes fréquents pouvant évoquer la perte d'un jumeau. Cette perte a aussi une histoire qui s'est inscrite dans notre
corps et dont nous pouvons retrouver la conscience.
Ce jumeau n'est pas nécessairement un petit être avec deux bras, deux jambes, un petit cœur que l'on voit battre à travers une peau translucide et deux billes de charbon à la place des yeux mais il peut effectivement avoir cette forme. A l'époque
où j'ai commencé à m'intéresser à cette question (dans les années 80), j'avais assisté à une conférence du Dr Titran, pédiatre, qui nous expliquait déjà que l'on retrouvait des fœtus papyracés dans certains placentas après la naissance.
Papyracés veut dire ayant l'apparence et la consistance d'un papyrus : plat et desséché. Un fœtus déjà formé n'avait pas survécu et était resté là en perdant sa substance. Et le Dr Titran faisait le rapprochement avec les saignements
que peuvent vivre certaines mères durant leur grossesse. Le plus souvent, cela passe inaperçu ou si la mère consulte, le médecin la rassure et la grossesse se poursuit sans "encombre".
C'est bien cela le problème du survivant : il est le seul témoin d'une catastrophe dont il n'a pas les moyens de dire l'ampleur et de laquelle personne ne saura le consoler ni lui apporter la sécurité dont il aurait besoin. Il se retrouve
deux fois seul, une fois en perdant un être qui lui est cher (je ne fais pas le jeu de mots avec un être qui lui est chair mais j'avoue être tenté) et une seconde fois parce que personne ne lui vient en secours ni en soutien pour la bonne
raison que personne n'a rien vu.
Mais un jumeau perdu, cela peut être aussi une forme tout à fait embryonnaire, voire un amas de cellules se détachant d'un premier et pourquoi pas seul embryon. Nous sommes dans ce cas sous le signe de la perte ; pas nécessairement
d'un jumeau mais les manifestations dans la vie actuelle d'adulte seront similaires. Il y a eu une perte. Que ce soit d'un jumeau tel qu'on se le représente habituellement ou pas n'a pas grande importance.
Cela me rappelle une séance marquante, un massage au cours duquel s'était exprimé un revécu sensoriel spontanné. La cliente disait que sa jambe devenait dure, puis dure comme du bois, dure comme du béton... puis elle s'est exclamé
: "oh, elle est partie". Elle n'avait, dans son revécu, plus de jambe droite. Et quelques secondes plus tard, nouvelle exclamation : "oh, elle repousse !", le tout sans émotion à ce moment précis. (Il avait quand même fallu l'inviter à
accueillir ses sensations corporelles car avant cela la peur de mourir s'était clairement manifestée). Bref, inutile de consulter un médecin dans ces circonstances, il risquerait de vous répondre : "nous en reparlerons quand les poules
auront des dents" ...sans savoir qu'elles en ont !
Quoi qu'il en soit, la perte de ces quelques cellules passe inaperçue, même à l'échographie mais surtout cette perte est un traumatisme
corporel pour l'embryon survivant. Pourquoi seulement pour les survivants ? Parce que les autres ne sont pas là pour en parler. Il y a aussi des fausses-couches évidemment qui peuvent marquer la mère, les parents, les enfants nés
ou à venir mais ici quand je parle de jumeau perdu, je parle surtout de celui ou celle qui l'a perdu et en a été affecté dans sa chair, aussi embryonnaire fût-elle.
Bien-sûr la nostalgie d'un jumeau que l'on aurait perdu est prégnante. Celle d'un temps où la communication se faisait sans avoir recours au langage, où la compréhension était totale et instantanée, où l'amour coulait à flot, sans contraire.
Toutes ces impressions, ces sentiments sont véridiques. Mais cette nostalgie relève aussi d'un deuil non fait. Deuil d'autant plus difficile à faire que personne n'a reconnu la perte et que, de plus, elle n'est pas consciente. D'un certaine
manière la personne ne peut pas se résoudre à cette perte et souvent elle ne l'imagine même pas. Nous sommes de tout cœur avec elle.
Regardons cela de plus près. Bien que les ingrédients d'une communication gémellaire existent et puissent provoquer cette nostalgie, pourquoi le deuil ne se fait-il pas ? Pas seulement à cause d'une perte inconsolable mais surtout
parce que cette perte a été vécue dans la douleur (corporelle) et dans un grand danger pour la sécurité et la survie de celui ou celle qui restait. Le maintien du deuil sert à éviter d'avoir à vivre cette douleur engrammée et l'idée qui
en a émergé simultanément: "Je vais y passer aussi !".
La mémoire de ce traumatisme, met la totalité de l'être en alerte et lui fait dire : "je ne veux pas mourir, je ne veux pas vivre cette douleur, et pour ne pas la vivre, il faudrait que ce "jumeau" ne s'en aille pas". Il est déjà parti
mais "je" vis encore aujourd'hui comme s'il ne l'était pas. En n'acceptant pas cette perte que d'ailleurs la personne ne peut pas nommer dans un premier temps, elle maintient l'idée que ce jumeau n'aurait pas dû partir et ce dans le but
compréhensible mais vain d'éviter une douleur -
corporelle, j'insiste- qui a déjà eu lieu et que son corps conserve en mémoire.
C'est pourquoi les méthodes d'analyse, quelles qu'elles soient, ne peuvent résoudre ce type de nostalgie. Il ne suffit pas qu'il saute comme un cabri en criant : "J'ai perdu un jumeau" pour que cela change quelque chose à l'état nostalgique
voire dépressif de votre client. Il est nécessaire que cette douleur soit revécue en conscience, en présence et le mieux est de le faire à travers le revécu sensoriel et sans y mêler d'émotion ; l'émotion étant là pour dire non, je ne
veux pas vivre cela, c'est intolérable, c'est trop injuste etc., elle va bloquer le revécu des sensations et perpétuer le deuil. Cette nostalgie ne peut être traitée que par un retour à la douleur initiale comme son éthymologie semble
le suggérer.
Tel le saumon, remontons un peu plus loin. Nous avons vu qu'il y a un embryon avec de vrais morceaux de cellules dedans. Pourquoi une scission intervient-elle et comment se produit-elle ?
Sans entrer dans la variété des situations, il arrive que ce "jumeau" soit attaché physiquement au survivant et que ce survivant soit obligé pour sa propre survie et dans un mouvement énergique (de colère si l'on y met une coloration
émotionnelle) de faire en sorte que cet embryon ou cette partie de lui-même se détache. Ceci provoque à la fois douleur, risque pour sa propre survie mais aussi culpabilité d'avoir dû agir pour provoquer la perte de ce jumeau auquel il
était à proprement parler si attaché.
Dans deuil et mélancolie Freud nous dit que le mélancolique se reproche inlassablement quelque chose qu'en fait il n'ose pas reprocher à d'autres. Il s'accuse d'un crime dont personne n'a vu la victime. Voyez que dans de telles circonstances
il y a bien un support matériel, corporel à une telle situation.
Mais il y a aussi de vrais morceaux de conscience dans la Conscience. C'est à dire que cette rupture, cette perte n'est pas seulement corporelle. Elle intervient dans un bain de conscience*. Dès cet âge embryonnaire se forment des
idées, des représentations corporelles. Par exemple : si je perds un jumeau, je pourrais très bien y passer aussi. Ce n'est pas une idée, c'est une réalité corporelle ressentie et mémorisée qui s'exprime tout au long de la vie par des
comportements, des attitudes et qui peut par la suite trouver une structure verbale, une formulation telle que celle ci-dessus, autrement dit : Il faut que je sois sage et obéissant, que je ne bouge pas trop sinon il pourrait m'arriver
la même chose. C'est tout simplement vrai.
Cela ne s'arrête pas là. Si je suis menacé, j'aurai tendance à en rechercher la cause. Pourquoi ce jumeau part-il alors que nous étions si bien ensemble ?
Vous vous souvenez de ce que l'on appelle la conception d'un enfant ? Les parents conçoivent un enfant dit-on. Mais ils peuvent aussi concevoir de ne pas avoir d'enfant ou, pire, concevoir de se débarrasser d'un enfant déjà conçu.
Dans ce bain de conscience l'être en devenir est touché par cette conception, par cette intention. L'intention traverse les membranes physiques et est ressentie comme un acte. Ce sont les travaux de Masaru Emoto qui ont mis à jour
l'influence de l'intention sur l'eau. Ce chercheur faisait geler de l'eau après l'avoir exposée à une intention. Résultat les cristaux de glace avaient des formes différentes en fonction de l'intention qui leur avait été associée. L'expérience
peut aussi se faire sur des conserves que vous auriez faites en collant par exemple une étiquette "amour" sur l'une et "haine" sur l'autre et en répétant chaque jour votre intention d'amour pour l'une et de haine pour l'autre. Cette dernière
va périr.
Dans cette perspective, la perte d'un jumeau correspond à la conscience de deux désirs distincts dont l'un est meurtrier ou tout du moins interprété comme tel. Il arrive bien-sûr qu'une future mère soit lasse, indécise, qu'elle ait
un coup de blues, qu'elle apprenne une mauvaise nouvelle ou qu'elle ait un accident de voiture... Du point de vue de l'adulte, ce n'est pas mortel. Du point de vue de l'embryon cela peut être interprété comme tel à travers sa sensibilité
et les sensations qui lui parviennent.
Quelquefois c'est l'inverse. Plutôt que de partir de la réalité d'un jumeau perdu pour en arriver à la conscience d'un désir éventuellement défaillant ou ambigu de l'un des parents ou des deux, le survivant d'une tentative d'avortement
ou d'un désir de perdre l'enfant va en déduire imaginairement que si ce n'est pas lui ou elle qui est morte, c'est quelqu'un d'autre qui est mort, l'enfant du non-désir, le jumeau perdu... Que ce jumeau ait eu une existence corporelle
ou non.
Revenons en à notre mélancolique : oui il y a bien un reproche à se faire et oui, il est bien possible que ce reproche soit adressé de manière masquée à quelqu'un d'autre... c'est à dire aux parents qui ont voulu se débarrasser de
cet enfant qui n'est autre que "moi". Mais comme je suis vivant, je ne peux pas le leur reprocher, cependant quelqu'un est bien mort... le jumeau que j'ai perdu.
Je précise que tout cela n'est pas formulé mais corporéétisé, se manifeste par le corps, les émotions, les attitudes, les comportements, les représentations du monde et de sa place dans le monde.
On voit bien que tout cela est imbriqué. Penser qu'il ne s'agirait que de symbolique serait une erreur à mon avis. Nous sommes ici dans le réel comme d'habitude. Mais qu'est-ce qui crée ce réel ressenti ?
Je dirais pour intégrer le tout, que la conscience est première. L'embryon baigne dans la conscience, il est en contact avec les consciences particulières qui viennent le toucher. Mais un support matériel est nécessaire au vécu corporel
de cet embryon. Il y a une véritable perte qui permet à l'embryon de mémoriser corporellement la structure de cette information : j'ai perdu un être de chair, quelqu'un a été perdu, quelqu'un a perdu quelqu'un. Autrement dit la conscience
crée la matière qui permettra à l'embryon d'en ressentir la perte.
C'est une idée un peu folle à laquelle la plupart préfèreront éviter de croire. L'idée qu'à la frontière de l'incarnation la conscience crée de la matière pour informer le vivant. Cependant personne ne s'étonne que l'on emploie le
terme concevoir pour parler d'un enfant qui va prendre chair et forme, qui va s'incarner. De la même manière on dit d'une personne qu'elle incarne un projet. Il y a bien un passage du concept à la matière, à la matérialisation. Mais ne
vous inquiétez pas, on peut dire aussi l'inverse, c'est une manière de s'exprimer.
Simplement cette idée est fondée sur l'expérience, la mienne et celle que j'ai acquise au contact de mes clients depuis plus de 10 ans. Je vais citer ici les notes prises la semaine dernière par un client à propos de sa séance de la
veille :
"Rien n'est réglé, mais peut être une porte s'est ouverte... Je n'ai rien compris, j'etais en larmes : mon père ne m'a jamais aimé, ne m'a jamais montré son amour. D'ailleurs m'aimait-il, je n'en sais rien... Ce manque d'amour m'a empéché de vivre pleinement, il me semble que
je n'ai vécu qu'à moitié... Et puis Francis m'a pris dans ses bras et a appuyé là où ça faisait mal... j'ai gémi doucement puis de + en + fort, il me parlait... il fallait ...que là...maintenant je lâche prise sur cette douleur ancienne, que ce petit mal aimé, pas aimé, disparaisse, meure !!! Pour que je puisse enfin m'autoriser à vivre pleinement, sans restriction, ne pas accepter cette fatalité, cette incapacité à être... J'ai eu l
'impression qu'on m'arrachait de la chair, que mon corps se déchirait, j'ai peut être crié, beaucoup pleuré, sangloté... et quand il m'a lâché j'ai été pris de spasmes, de tremblements dans tout le corps... comme si une énergie longtemps contenue trouvait enfin une échappatoire. Cela a duré quelques minutes puis les tremblements se sont calmés... j'etais KO, je ne pouvais pas tenir debout sans tituber, il m'a fallu un peu de temps pour retrouver une stabilité tant psychique que corporelle.
[...]
Au fait l'enfant mal aimé est-il vraiment mort ? En tout cas j'ai bien senti les soubresauts , et la douleur dans ma chair ! "
Voyez, cette histoire de poule ou d'œuf n'a pas grande importance. On pourrait tout aussi bien dire que la douleur de ne pas être aimé, de ne pas être désiré, d'avoir été maltraité est telle et tellement insupportable qu'elle doive
se projeter sur un jumeau que l'on aurait perdu.
Tout ce que l'on sait, à la fin, c'est que la douleur soit-disant psychique est d'abord corporelle et qu'il est nécessaire de rejoindre celui qui a mal dans sa douleur afin qu'il se sente moins seul. Et ça, ça ne change pas.
Faut-il rechercher le jumeau perdu ? Non, bien-sûr. Il vaut mieux le trouver !
Inutile de le chercher, il est déjà là en nous, le cas échéant. Il y vit sous forme de mémoire et c'est nous qui l'attachons en souvenir des bons moments partagés et surtout dans l'espoir de ne pas revivre une rupture si douloureuse.
Croyez-le ou non, je ne parle quasiment jamais de jumeau perdu en séance. Ce n'est absolument pas l'important. La seule chose importante, le seul but est de vous accompagner pour que petit à petit vous puissiez faire corps avec ce
que vous vivez. L'important est que vous puissiez quitter vos peurs, y compris inconscientes, une à une pour trouver de plus en plus de liberté intérieure, dans vos relations, dans vos choix de vie.
Et pour cela nous partons toujours du présent, de ce que vous vivez, des obstacles que vous rencontrez.
Si jamais vous me disiez : "je crois que j'ai perdu un jumeau dans le ventre de ma mère", que pourrais-je vous répondre ? "Très bien. Et comment ça vous touche quand vous me dites ça ?"
Mon seul témoignage sur cette page consiste à vous rassurer tout en vous offrant un cadre large où toute votre expérience sensible pourra trouver sa place, sans restriction. Oui, c'est possible. Faites confiance à vos sensations, à
vos impressions et laissez-vous toucher par ce qui vous touche. Mon rôle est de vous accompagner vers vous-même, pas de vous amener à un endroit connu d'avance.
Le spécialiste du jumeau perdu est une expression du Dr Olivier Soulier pour désigner l'un de ses confrères. Il nous disait : "Tu vas chez [machin], t'as pas de jumeau, tu ressors, t'as un jumeau". C'était affectueusement moqueur. Pour le
docteur Soulier il n'y aurait, selon les études faites à partir d'échographies que 1 à 2% (si l'on compte les jumeaux perdus !) de la population concernée par la perte d'un jumeau... Ce n'est pas négligeable.
Alors, Francis Lemaire, spécialiste du jumeau perdu ? Pourquoi pas ? Chacun sa spécialité.
Imaginez que vous alliez voir un psychanalyste. Vous n'avez pas de complexe d'Œdipe. Vous ressortez, vous désirez coucher avec votre mère et tuer votre père... Personne ne semble s'en étonner !
Simplement un jour peut-être vous prendrez
rendez-vous, vous viendrez et vous me direz comme je l'ai entendu tellement souvent : "Je suis tombé sur votre site par hasard
il y a quelques temps et je ne savais pas ce qui allait se passer mais ce que je savais c'est qu'il fallait que je vienne".
C'est vous qui faites de moi un spécialiste... de ce pour quoi vous venez me rencontrer.
Lire en annexe :
L'évangile gémellaire selon Paul, extraits du roman "Les Météores" de Michel Tournier.
* La nature de la conscience, Essais sur l'unité de l'esprit et de la matière. Rupert Spira. Éd. Accarias L'Originel